ANNE-LISE SAILLEN

JE LE VOIS

Alban…

Je n’ai pas connu Alban. Je l’ai rencontré après sa mort à travers ses peintures. J’y ai découvert sa fascination pour l’oeuvre de Pollock et vraisemblablement celle de Mathieu qu’il devait aussi connaître. J’imagine ses premiers pas, peignant le plus souvent sur fonds noirs, avec l’urgence d’un geste chargé d’énergie, marquer la surface peinte d’idéogrammes improbables.

Je le rêve ensuite explorer de plus grands formats, d’autres couleurs, douces, lumineuses, effleurant les surfaces peintes de touches légères, telles les traces d’un oiseau dans le ciel des poètes.

Je le vois plus tard, au coeur de lui-même, agenouillé sur le sol, empâter avec le couteau de longs panneaux en bois, étroits et verticaux. Je le vois chercher l’éclat de la couleur, un bleu peut-être, celui du ciel vaste, apaisé, sans limites, ou celui de sources jaillissantes, d’eaux profondes. Je le vois tâtonner pour trouver la bonne viscosité de la peinture pour qu’elle puisse s’écouler librement le long du panneau, délivrée de la contrainte du pinceau ou du couteau. Je le vois s’émerveiller des traces créées dans cette matière en mouvement, telles des vagues de lave nourrissante, et suivre d’un regard attentif et concentré le chemin de cette pâte happée par la pesanteur. Je le vois, le souffle retenu, contempler l’espace laissé encore libre par l’écoulement de la matière et décider de ne pas le recouvrir, de le laisser vivre, les veines du bois dialoguant avec la pâte colorée.

Je le vois…

ANNE-LISE SAILLEN